Description d’un accompagnement sophrologique pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Notre première rencontre a eu lieu dans sa chambre par un bel après midi de printemps, au sein de l’EHPAD où elle réside depuis 10 ans. Je venais de rencontrer son ergothérapeute qui m’avait gentiment accompagnée pour me « présenter ». En pénétrant dans les lieux, un bruit étrange m’est apparu, particulièrement difficile à décrire, mais surtout très désagréable à l’oreille.
En m’approchant, je l’ai découverte pour la première fois. Blottie dans son fauteuil roulant, ses mains et bras étaient croisés et serrés sur sa poitrine, ses jambes croisées reposaient contre son ventre. Ses yeux étaient fermés. Une position fœtale pour ce petit bout de femme qui m’apparut dès le début si fragile ! Passée ma première émotion à la découvrir ainsi, je réalisais que le bruit provenait de ses mâchoires qui grinçaient sans discontinuer.
Sylvie atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 10 ans à un stade très avancé, ne parle plus. Ses membres de plus en plus raides rend le travail des soignants très difficile, c’est à ce titre que l’équipe m’a demandé « d’essayer » une séance de sophrologie.
Je prends la chaise à côté d’elle, je m’installe confortable et avec ma voix la plus posée je lui dis « bonjour je m’appelle Corinne, je suis sophrologue et je viens pour prendre du temps avec vous pour vous aider à vous apaiser ».
C’est ainsi que commence une série de monologues au fil des séances. Je fais fi du grondement incessant de ses mâchoires, de ses mains qui viennent tirer ses cheveux, de son corps qui se rétracte à chaque respiration. Je reste impassible, et continue de parler d’une voix posée, calme, comme si tout allait bien. Au bout de 20 minutes, j’ai envie de croire qu’elle est plus relâchée, peut être une main qui s’est légèrement ouverte ? Peut être une respiration plus douce ? Pas de retour d’expérience, pas de regard, pas de verbalisation, rien, sauf ce bruit qui continue inlassablement.
Nous décidons avec l’équipe de tenter 10 séances à raison de deux par semaine. Je me repasse en boucle « pas d’interprétation », « pas de jugement », « ne t’arrêtes pas à ce que tu vois », mais va vers ce que tu sens !
Maladie d’Alzheimer = mémoire altérée.
Niveau de conscience modifiée = stimulation de l’hippocampe dans le cerveau, la boite noire de notre mémoire.
Alors je vais m’accrocher à cette notion en mobilisant ce qui peut encore fonctionner en elle … ses sens.
Au fil des séances, toujours la même approche :
« Bonjour Sylvie, comment allez vous aujourd’hui ? Je suis Corinne votre sophrologue, je viens pour votre séance. Vous permettez que je m’assoie. Nous allons prendre le temps de nous installer confortablement … »
Passer les techniques clés, il faut trouver, créer, imaginer ce qui pourrait la toucher, lui parler … Alors je retrousse mes manches et je pars à la pèche aux informations. D’abord auprès des équipes qui sont là depuis longtemps : « parlez moi de Sylvie, racontez-moi ce qu’elle aimait, qui elle était ? »
J’apprends très vite qu’elle n’a pas de famille, que la mort de son père l’a anéantie, qu’elle avait une passion pour les animaux, et surtout les chiens.
Je prends des photos des livres dans sa bibliothèque, de ses CD. Je vais pêcher ainsi « les fleurs du mal », Vivaldi, Pia Colombo… Son univers, son espace intime. Je feuillète ses lectures, j’écoute ses musiques, je regarde les photos d’elle entourée de ses chiens.
Et petit à petit je construis mes séances, faisant un peu plus sa connaissance.
J’apprends qu’elle habitait au bord de la mer, alors je la fais se balader avec son chien, sentir l’odeur caractéristique de la mer, le sable sous ses pieds.
J’utilise une autre fois sa crème de jour parfumée, je la glisse sous ses narines et doucement je masse ses mains avec. Sommes-nous loin de la sophrologie en touchant la personne ? Certains le penseront peut-être, en ce qui me concerne je me rappelle l’un de mes enseignants me dire « adapte toi à la personne et ne te mets pas de barrière ». Alors c’est ce que je fais : m’adapter.
Au fil des séances, Sylvie relâche davantage ses deux mains, sa respiration est plus calme, ses yeux s’entrouvrent parfois Son visage est lisse et surtout, ses mâchoires ne font plus aucun bruit !!!
J’interroge l’équipe, comment vous la trouvez, que se passe t-il avec elle ?
Alors j’entend comme des petits miracles :
« Avant je lui donnais à manger, elle ouvrait la bouche sans problème et mangeait facilement. Maintenant elle manifeste quand elle n’aime pas quelque chose et devient moins docile.
« En tant que Kiné de Sylvie, pour les mouvements je devais saisir son membre pour lui faire faire un mouvement, aujourd’hui quand je lui demande de mobiliser un bras ou une jambe elle le fait ».
« Je suis allée la voir après la séance dans l’après midi, elle était très calme dans son lit ».
« C’est plus facile de lui faire sa toilette, elle est plus détendue ».
Je poursuis ce chemin avec elle, réveillant un peu plus, ses sens, ses souvenirs, son identité, son corps. Hier en lui proposant de sentir le parfum glissé sous son nez, j’ai vu son thorax se gonfler comme pour saisir davantage les aromes.
Cette lettre, Sylvie, pour vous remercier de cette aventure humaine ordinaire et extraordinaire à la fois.
Quand la parole n’est pas là, le corps s’exprime à la place et quel langage ! En vous regardant calme dans votre lit quand je pars, j’ai l’impression de vous laisser avec toutes les belles images de votre vie. Entourée de vos photos, livres et CD bien enfouies dans votre mémoire sensorielle.
Il y a un tableau de PICASSO sur l’un de vos murs, ce sont des fleurs de toutes les couleurs sans formes précises, elles sont tenues en bouquet par deux mains. C’est un peu cette peinture que nous réalisons toutes les deux dans ce travail que nous avons entrepris : donner des couleurs dans l’être vivant que vous êtes, sans trop savoir vraiment qui vous êtes, qui vous avez été et qui vous serez. Mais à chaque séance et en l’instant présent que nous vivons, il y a de jolies respirations qui sentent un peu plus le printemps.