J’ouvre aujourd’hui ma seconde lettre à Sylvie. Notre aventure sophrologique a commencé cet été, nous poursuivons les séances deux fois par semaine, c’était aujourd’hui la trentième. Je me souviens de notre première rencontre, une femme en position fœtale, un son assourdissant généré par ses mâchoires très crispées. Ses membres se rétractaient régulièrement, sa respiration irrégulière, j’aurai presque aimé bouché mes oreilles pour continuer mon accompagnement.
Alors ? Que s’est t-il passé depuis ? Que peut générer trente séances de sophrologie pour une personne enfermée dans son corps ? La maladie d’Alzheimer l’a telle privée des bienfaits de cette pratique ?
C’est avec beaucoup d’émotion et de joie que je constate, indéniablement, une ouverture sensible à l’autre, et à elle même, j’ose l’espérer.
Souvenez vous, le tableau de Picasso au mur de sa chambre, le bouquet de fleurs tenu par quatre mains, le lien, ce lien que nous avons tissé ensemble au cours de nos séances.
Quand je rentre dans la chambre de Sylvie, que je m’approche doucement d’elle, que je lui dis bonjour et que je prends ses mains, je sens ses yeux qui s’entrouvrent, ses mains qui me cherchent et me touchent. Une alliance s’est crée au fil de nos rencontres, cette fameuse « alliance » que l’on retrouve dans tous les manuels de sophrologie.
Ce parcours se construit marche par marche. D’abord les vibrations de ma voix pour l’apaiser, ma respiration calme et pausée pour la guider dans la sienne, l’aider à faire venir doucement l’air dans ses narines, puis laisser son thorax monter doucement. Je modifie mon état de conscience pour la guider dans la pratique. A travers ses vêtements je vois son ventre se gonfler, ses mains suivent le rythme, elle s’installe doucement dans ses ondes ALPHA.
Je l’emmène dans beaucoup de lieux : à la plage, sur les rochers, nous essuyons parfois des tempêtes, je lui fais remarquer comme le vent caresse sa peau, comme l’air est salé. Me croirez vous ? Elle porte alors sa langue sur ses lèvres comme pour vérifier.
Je l’emmène en forêt, nous grimpons dans des cabanes et prenons le temps de regarder le paysage aux alentours. Je lui décris avec précision tout ce qu’il y a devant nous, couleurs, nuances, luminosité, oiseaux, arbres, horizon, je deviens alors ses yeux.
Je luis décris les odeurs, je deviens ses narines, je lui décris les grains de sable, les troncs d’arbres, je deviens ses mains.
Parfois dans une séance, je laisse venir des notes de musique, des extraits de ce qu’elle aimait écouter : Vivaldi, Mozart, Chopin. Mais aussi des voix, celle de Loreena McKennit en particulier qu’elle écoutait autrefois, en témoignent les trois CD dans sa bibliothèque. C’est une voix chaude, qui résonne bien dans le corps. Je la guide encore dans ces résonnances, sensations sur la peau, augmentation de la chaleur corporelle. Je lui parle de son énergie, de son sang qui coule dans ses veines, de son cœur qui bat. Sa respiration est lente, ses membres immobiles, son visage lisse.
Aller réveiller ses sens toujours et encore, telle est ma mission !
L’autre jour je lui ai fait sentir un échantillon du parfum qu’elle portait autrefois, une fragrance florale. Le croirez vous ? Elle a ouvert grands ses yeux ! Alors j’ai parfumé ses mains, son cou et je lui ai dis combien elle sentait bon. Elle devenait tout à coup sensuelle et belle.
Aujourd’hui, pour notre trentième rencontre, Sylvie s’est mise à pleurer pendant la séance. Des pleurs sans bruit et sans larme. Un léger murmure a traversé sa gorge. J’ai continué à lui parler, l’ai encouragé à se libérer, et petit à petit, son souffle s’est fait doux, son visage relâché, elle s’est pausée à nouveau doucement dans son fauteuil, paisible.
Le lien n’est pas toujours dans les mots et les regards, entre nous il est dans nos mains. Je touche les différentes parties de son corps pour l’aider à en prendre conscience, c’est aussi grâce à ce contact qu’elle réagit. Je constate que ses mains souvent froides en début de séance, deviennent chaudes progressivement.
Aujourd’hui j’ai dis merci à Sylvie pour tout le bonheur qu’elle me procure. Un bonheur émotionnel à chaque fois différent. Je ne sais jamais comment elle je la trouverai en arrivant, endormie, calme ou tendue. Allongée dans son lit ou installée dans son fauteuil.
Mais à chaque fois, sa posture change, ses mains cherchent mes mains, son corps se réchauffe, son visage devient expressif, son souffle devient plus ample. J’ai même parfois la sensation qu’elle va me parler.
Après concertation avec l’équipe soignante, il a été décidé de continuer la pratique sophrologique. Son quotidien fait de routines : toilette, repas, séance de kiné, est devenu plus facile pour le personnel. Sylvie ne se rétracte plus lorsque l’on s’occupe d’elle, elle coopère.
Qu’en est il de sa conscience ? C’est un grand mystère cette maladie ! Mais quand le corps parle, les mots deviennent inutiles. Lorsque ses mains deviennent chaudes, qu’elle caresse mes doigts, qu’elle balade sa langue sur ses lèvres, qu’elle cherche mon regard, qu’elle réagit aux odeurs, aux sons, c’est tout son être qui parle. J’ai alors face à moi un être vivant, unique, et précieux.
Ces heures précieuses que nous partageons ensemble sont les plus beaux cadeaux que la pratique sophrologique puisse offrir. Répéter l’exercice toujours et encore, parcourir chaque partie du corps toujours et encore, respirer toujours et encore, vivre … toujours et encore.
MERCI Sylvie.
PORNIC 11 décembre 2019